Un appel entêtant venu du lointain, qui s'arrête et reprend. Nous étions chez nous, dans la zone où il se gare. J'ai alors dit, en ouvrant toutes les fenêtres : "Je crois que je l'entends ! Retournons à la voiture !" C'était l'une des premières chaudes journées de l'année. Nous avons démarré la voiture, en direction de la gare de Tobu Minami Utsunomiya, en mettant nos oreilles à l'épreuve. "Il doit être par là", ai-je murmuré lorsque nous nous sommes garés près d'une supérette du quartier. Nous attendons assis, toute ouïe. Un train passe. Des oiseaux pépient. Des voitures passent. Et soudain : " Yakiiiiimoooo...". Nous nous sommes dévisagés. "C'est lui ! Vite ! Où est-il ?" J'ai fermé les fenêtres, fouillé pour mettre la main sur ma caméra, mon portemonnaie et mes clés. Nous courons en direction du lieu d'où s'élève le refrain.
Le petit camion blanc chargé d'un feu de bois, d'un tonneau et d'un poêle tourne au ralenti dans une ruelle. La musique s'interrompt de nouveau. Le vendeur de yaki-imo en tablier sourit et nous salue. Deux semaines auparavant, nous lui avions acheté deux patates douces dans la même ruelle. Il descend cette rue à la même heure, et ce jusqu'en mai, lorsque les beaux jours se seront installés. J'ai marqué sur mon calendrier de partir à sa recherche aux alentours de 16h30.
Une patate douce, cuite aux charbons de bois à l'arrière du petit pickup blanc coûte 250¥. Je sors les pièces de mon portemonnaie. Le vendeur soulève le couvercle du four pour dévoiler une dizaine de patates douces violettes sur leur lit de braises chaudes, cuisant à la vapeur sur des charbons. Je peux sentir leur odeur, et celle du feu. Le vendeur me tend mon achat et se penche pour pousser un autre morceau de bois dans le four. Les braises prennent feu. Je tiens mon trésor chaud emballé dans un sac en papier kraft contre ma poitrine. A l'intérieur, il y a assez pour nourrir une famille de trois personnes. Nous mangeons les patates douces cuites chez nous, à la cuillère. Elles ont la texture et le goût sucré d'un cheesecake.
Je vivais auparavant en Corée. Là-bas, je pouvais acheter auprès de vendeurs de rue de l'infusion aux agrumes relevée avec du miel et des zestes en hiver, des pancakes sucrés avec un coulis à la cannelle toute l'année, ainsi que de la barbe à papa et des vers à soie frits en été, auprès des vendeurs ambulants installés sur la plage. Lorsque j'ai emménagé pour la première fois au Japon il y a trente ans, un restaurant d'oden ambulant avait l'habitude de se garer près de mon appartement. Nous passions devant une tente accrochée à l'un des côtés du camion, et nous asseyions sur les tabourets d'un comptoir de fortune. Maintenant, nous effectuons une halte occasionnelle au camion de kushiyaki situé devant un supermarché des environs, et un homme du voisinage vendant du tofu joue d'une sorte de pipeau lorsqu'il arrive. Outre ceux que l'on peut voir pendant les festivals, les vendeurs de rue semblent appartenir au Japon d'autrefois. La nourriture en extérieur, préparée devant vos yeux : voilà l'une des raisons pour lesquelles j'aime les festivals japonais.
On peut trouver des patates douces cuites en supermarchés ainsi que sur des marchés fermiers mais pour moi, l'intérêt va au-delà de la patate douce; c'est l'occasion unique de se rencontrer dans la rue, rendant le service convivial et les prix intéressants et raisonnables. De tels vendeurs sont des voyageurs venus du Japon d'autrefois, de l'époque où les grandes surfaces et les autoroutes n'existaient pas et où les gens se baladaient davantage dans leurs quartiers. Dans le passé, j'imagine que ce type de vente en porte à porte, d'une rue à l'autre, était chose commune, mais aujourd'hui, je l'apprécie d'autant plus qu'il se fait rare. Il s'agit d'un aspect du Japon qui m'est précieux, et j'espère de tout cœur que les générations futures pourront en faire l'expérience.